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CBAM, ouvre-toi !

Le 13 décembre dernier, par un communiqué de presse enthousiaste, la Commission européenne se félicitait de l’accord politique obtenu le même jour entre le Parlement européen et le Conseil sur le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF), plus connu sous son acronyme irlandais CBAM, à prononcer « sibame », dont le principe est de taxer le contenu carbone des importations. Selon la Commission, ce mécanisme sera l’outil de référence de l’Union pour encourager une production industrielle plus propre dans les pays tiers : « une solution européenne à un problème mondial ! »

La lecture du communiqué, du même jour, émanent du Conseil européen apparait nettement plus circonspect : cet accord est de nature « provisoire et conditionnelle », « le CBAM ne pourra être formellement adopté qu’une fois que les éléments pertinents pour le CBAM auront été résolus dans d’autres dossiers connexes » et que dans un premier temps, il se limitera « uniquement aux obligations de déclaration »…

Ainsi, la mise en place de ce mécanisme est intimement liée à nombre d’initiatives et propositions faites par la Commission lors de la présentation de son pacte vert, le 14 juillet 2021. Un nouvel accord (provisoire) Parlement/Conseil a donc été obtenu 5 jours plus tard, après 30 heures de négociations. Aussi, avant de détailler le mécanisme CBAM, regardons le contexte dans lequel ce projet de Règlement s’inscrit.

CBAM et son contexte

Son principal élément de contexte est la révision à la hausse de l’ambition européenne en termes de réduction de gaz à effet de serre à l’horizon 2030. Cette ambition se traduit par cinq textes[1] très interconnectés dont une proposition de révision directive de l’ETS pour la phase 2021-2030 (et la proposition de règlement CBAM). Ces textes prévoient de :

  • Relever l’ambition générale de l’ETS de 55% de réduction à 61%. (L’accord serait 62%).
  • Etendre l’aviation ETS au secteur maritime.
  • Créer un nouvel ETS pour le bâtiment et le transport routier. (Il s’agit de se mettre en conformité avec l’Allemagne… mais avec la mise en place de protection contre des prix excessifs. Selon l’accord du Conseil, ce prix ne pourra pas excéder 45€/tCO2 soit ~0,15€/l essence ou 8,33€/MWh qui est le niveau de l’impact de la « taxe carbone » à la française qui ne dit plus son nom. Mécanisme allemand, prix français !)
  • Créer le Fonds social pour le climat pour la transition énergétique : antidote espéré anti « gilet jaune » et pouvant représenter jusqu’à 86,7Milliard€.
  • Renforcer le Fonds de l’Innovation (qui pourrait financer des contrats pour différence dans le secteur de l’hydrogène, par exemple – le fond passe de 450 à 575 millions de quotas, ~50Milliard€).
  • Réviser les règles sur les allocations gratuites avec notamment la révision des benchmarks et surtout l’élimination progressive des allocations gratuites à la suite de la mise en place du CBAM, élimination totale en 2035. C’est ce point qui inquiète le plus les industriels européens et cette inquiétude a bien été relayée par le Conseil. (Les consommateurs finaux seraient aussi en droit de s’inquiéter).
  • Maintenir, en ce qui concerne la Réserve de stabilité, le doublement des seuils et du pourcentage d’admission jusqu’en 2030 – soit, taux d’admission : 24% le seuil et le nombre minimal de quotas à placer dans la réserve : 200 millions de quotas.

Par ailleurs, comme le fait remarquer le Conseil : « le financement des dépenses administratives de la Commission européenne, qui assumera de nombreuses tâches administratives centralisées liées au MACF-CBAM, devra être décidé conformément à la procédure budgétaire annuelle de l’UE. »

Le CBAM

La proposition de la Commission se résume ainsi :

  • Le principe du mécanisme est de « créer un outil historique pour fixer un prix équitable sur le carbone émis lors de la production de produits à forte intensité de carbone qui entrent dans l’UE, et pour encourager une production industrielle plus propre dans les pays tiers.»
  • Le champ d’application sont les importations des secteurs suivants : ciment, fer et acier, aluminium, engrais, électricité et hydrogène.
  • Les modalités pratiques sont les suivantes :
    • Ce mécanisme va entrainer la création de nouveaux certificats qui ne semblent pas « tradable ». Leur durée de validité est limitée à une année et les excédents pourront être revendus au prix d’achat : les CBAM Certificats. Ces certificats seront émis par les pays membres au prix fixé par la Commission (en fonction des prix des dernières enchères) et les recettes seront « majoritairement » reversées à la Commission : « Bien que la création de recettes ne soit pas un objectif du MACF, ce dernier devrait générer des recettes supplémentaires, estimées pour 2030 à plus de 2,1 milliards€». Nous notons que l’émission de ces certificats ne feront pas l’objet de rationnement et son système de fixation de prix s’apparente à un consommateur qui pourrait, après coup, acheter l’électricité au prix des dernières enchères.
    • Chaque importateur devra calculer les émissions intrinsèques de chaque produit inclus dans le champ d’application et restituer le nombre de certificats correspondants. Ce calcul devant être fait selon des modalités précises et feront l’objet de vérification.

Dans le but de donner une chance à ce dispositif d’être conforme aux règles de l’OMC (Organisation Mondiale du Commerce) deux provisions ont été ajoutées :

  • Article 31 : « Les certificats MACF à restituer […] sont ajustés pour correspondre à la mesure dans laquelle les quotas du SEQE de l’UE sont alloués à titre gratuit ».

Cet article est muet sur la prise en compte de la compensation CO2 dans le prix de l’électricité en faveur des électro-intensifs (cf. communication de la Commission européenne du 21 septembre 2020 sur les lignes directrices concernant certaines aides d’Etat dans le contexte du système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre après 2021 (C [2020] 6400 final)).

  • Article 9 : « Un déclarant agréé peut demander […] une réduction du nombre de certificats CBAM à restituer afin de tenir compte du prix du carbone payé dans le pays d’origine ».

Il est heureux que les recettes générées, potentiellement, par l’émission de ces certificats ne soit pas un objectif du CBAM ; il semble suffire que ce pays exportateur taxe cette exportation sur la base des émissions et du prix européen du CO2 pour que les recettes restent dans le pays.

En revanche, pour le calcul des émissions intrinsèques de l’électricité ce règlement est plus généreux pour les pays tiers que pour ceux de l’Union : le coût de l’ETS (via les certificats CBAM) ne s’appliquera que sur le facteur d’émission moyen alors qu’en Europe le prix de l’électricité inclut une taxation carbone via l’ETS à la mesure des facteurs d’émission marginaux. Par exemple, pour la France, ce facteur d’émission est estimé à 0,51t/MWh (Décr. no 2022-1591 du 20 déc. 2022, art. 1er ) alors que le facteur d’émission moyen est environ 10 fois inférieur.

Conclusion

Le 18 avril 2023, le Parlement Européen a adopté les cinq textes concernés par l’accord du 18 décembre. Dans la foulée, ces textes ont été validés par le Conseil, le mardi 24 avril. La voie semble désormais dégagée pour le CBAM qui nécessitera un certain nombre de textes d’application. Espérons que ce mécanisme sera autre chose qu’une formule magique ouvrant les portes de l’Europe à des produits carbonés voire délocalisés mais plutôt la protection d’une industrie européenne forte et propre !

Philippe Boulanger

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Un nouveau souffle pour l’hydrogène

L’hydrogène, atome le plus répandu dans l’univers, ne peut prétendre constituer un scoop en soi. La notoriété de cet atome (ou molécule : le dihydrogène, H2, est aussi communément appelé hydrogène) nous dispensera de rabâcher la vision du capitaine Nemo dans l’Ile Mystérieuse de Jules Vernes ou de nous replonger dans le débat sur les avantages du plus léger que l’air contre le plus lourd que l’air pour le transport aérien (avec son champion, le comte Ferdinand von Zeppelin), ou encore de rappeler les promesses plus récentes non tenues. Et pourtant, à l’annonce des plans allemand, Européen et français (entre autres), il semble bien qu’avec l’hydrogène, il y ait finalement « quelque chose de neuf dans l’état de l’énergie ». Le 17 février dernier, par voie d’ordonnance, un nouveau livre (le 8ème) lui a même été ouvert dans le Code de l’Energie français. Ce nouvel enthousiasme ne trouverait-il pas ses racines dans les propriétés contrastés – voire paradoxales – de l’hydrogène lui-même ? Aujourd’hui, les attentes sont à la mesure des moyens annoncés (7 Mrd€ rien que pour la France). Le succès dépendra certainement de la bonne maitrise de ces paradoxes.

Revenons sur les principaux plans stratégiques autour de l’hydrogène

La France a, avec le plan « Hulot » en 2018, la première, jeté les bases du changement d’échelle en énonçant les objectifs repris en 2020 dans les décrets PPE :

  • Taux d’hydrogène décarboné dans l’hydrogène industriel en 2023 : 10% (~100.000t/an)
  • Taux d’hydrogène décarboné dans l’hydrogène industriel en 2028 : 20% à 40% (~200.000 à 400.000t/an)

L’Annonce de la « Stratégie Nationale pour le développement de l’hydrogène décarboné en France » le 8/9/2020 a non seulement confirmé la trajectoire – 6,5GW d’électrolyse en 2030 – mais aussi budgété des moyens financiers : 7 Mds dont 3,4 Mds€ sur 2020-2023.

Enfin, avec la publication de l’ordonnance du 17/2/21 (qui était prévue dans la loi Energie Climat du 8/11/2019), le cadre juridique se met en place ; notamment en prévoyant un mécanisme de soutien à la production par électrolyse via des appels d’offres (soutien en complément de rémunération et/ou CAPEX).

Les autres pays européens ont rapidement emboité le pas en publiant des plans hydrogène toujours plus ambitieux, à l’instar de l’Allemagne en juin 2020 : 38 mesures, 7 Mrds € pour la promotion de l’hydrogène en Allemagne + 2 Mrds € pour des partenariats internationaux sur l’hydrogène.

Naturellement, au niveau Européen, nous changeons encore d’échelle : avec la publication par la Commission le 8/7/2020 d’ «une stratégie hydrogène pour une Europe climatiquement neutre », les objectifs passent à :

  • 6 GW électrolyse en 2024
  • 40 GW électrolyse en 2030

Mais l’hydrogène reste une molécule paradoxale

Les grands espoirs portés par l’hydrogène pour le transport (tout comme ses promesses trop souvent reportées) sont liés à sa densité énergétique contrastée : à la fois une des plus fortes densités par kg (plus de 3 fois la densité énergétique du pétrole) mais une des plus faible en volume (moins du tiers que celle du gaz naturel), ce qui oblige à considérer des niveaux de compression importants – jusqu’à 750 bar – pour les usages de mobilité.

Aujourd’hui, son paradoxe le plus critique est dans son impact climatique. A l’instar de l’électricité, l’hydrogène est un vecteur énergétique zéro émission : sa « combustion » ne produit que de l’eau. Si l’énergie utilisée pour sa production est propre, l’hydrogène le sera (par exemple l’hydrogène produit par électrolyse de l’eau à partir d’électricité renouvelable). C’est sur cette promesse que se sont élaborées les différentes stratégies hydrogène comme technologie essentielle pour atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050. Mais l’hydrogène peut aussi bien atteindre la pire empreinte carbone par unité d’énergie : jusqu’à près de 1,5tCO2eq par MWh (cas de l’électrolyse utilisant de l’électricité produite au charbon).

Au niveau européen, ce risque ne semble pas inquiéter la DG Clima qui, tournée vers l’avenir, est prête à considérer propre toute électricité soutirée du réseau puisqu’elle devra l’être à terme. La DG Comp, par contre, avant de valider des mécanismes de soutien nécessaires à la filière hydrogène (les milliards budgétés par les plan nationaux) aimerait bien savoir comment s’assurer à tout moment que l’H2 produit par électrolyse conduit bien à la réduction d’émissions promise.

Tout ennuyeuse que soit cette question, c’est bien sur la qualité de la réponse que reposera la crédibilité de la filière.

Une profusion de réponses sont en discussion : ligne dédiée /contrat long terme/ PPA/ corrélation temporelle / corrélation géographique, avec des productions renouvelables/ bas carbone /additionnelles / aidées / non-aidées/ certifiée par des garanties d’origine/ technologie blockchain… et la filière retient son souffle en attente de règles claires.

En France, le mix est déjà largement décarboné, entre une fermeture des dernières centrales charbon programmée pour 2022, une consommation stable (voire en baisse) et une Programmation Pluriannuelle de l’Energie qui prévoit dans son scénario médian plus de 57 GW de capacités additionnelles solaires et éoliennes entre 2019 et 2028. Un mode de fonctionnement « base hors pointes » (entre 7500 et 8000h de fonctionnement annuelles et le mécanisme de capacité indique bien les heures à éviter) devrait donc satisfaire la Commission.

En effet si nous extrapolons la monotone des productions solaires + éoliens de 2019 avec ces capacités additionnelles qui représentent plus de 260% des capacités 2019, nous obtenons les valeurs des capacités suivantes :

Ainsi ~5GW de « nouveau » renouvelable seront disponibles pendant près de 8000h à l’horizon 2028 et les 6,5GW prévus à l’horizon 2030 pourront bien aussi prétendre à la qualité d’hydrogène renouvelable.

La profession est dans l’attente de l’ « acte délégué » de la Directive sur la promotion des énergies renouvelables (RED 2) qui doit définir sous quelles conditions l’hydrogène produit par de l’électricité soutirée du réseau pourra être comptabilisé dans les objectifs nationaux de part des énergies renouvelables dans les transports (objectif de 14% à l’horizon 2030). La publication de cet Acte Délégué par la Commission Européenne est prévue d’ici la fin 2021 et risque fort de faire jurisprudence pour la qualification de l’hydrogène par électrolyse quel que soit son usage final. Aussi nous ne prétendons pas clore ici le débat mais nous espérons que ces projections contribueront à l’enthousiasme actuel en faveur du développement de l’hydrogène renouvelable et bas carbone !

Philippe Boulanger

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Nouvelle tendance : votre facture d’électricité financée par la dette publique

C’est encore la France qui, par son inventivité fiscale, est à l’origine de cette tendance. Au 1er janvier 2016, la CSPE (Contribution au Service Public de l’Electricité) était remplacée par la TICFE (Taxe Intérieure sur la Consommation Finale d’Electricité). Beaucoup se disent alors que c’est « bonnet blanc et blanc bonnet », mais c’était là négliger une particularité importante de la TICFE : elle n’augmente pas, elle ! Et ceci, même quand les charges de service public augmentent de plus de 40% entre 2016 et 2021.

Aujourd’hui, avec la réforme de l’EEG, nous assistons à un véritable changement d’échelle : le 15 octobre dernier, la Bundesnetzagentur a annoncé cette bonne nouvelle aux consommateurs allemands : la contribution EEG (EEG Umlage) pour 2021 baisse à 65 €/MWh. Autre conséquence de cette annonce : le budget fédéral contribuera à hauteur de 10,8Mds€ au développement renouvelable (cette contribution représente à elle seule près de 2 fois le soutien français au développement des ENR en France).

Encore la faute au Covid ?

Avant d’analyser plus en avant la portée de ces annonces, nous vous proposons de revenir sur l’historique des évolutions respectives de la CSPE-TICFE et EEG Umlage depuis leur création (2000 en Allemagne, 2002 France)

Nous représentons ces évolutions sur le même graphique comme approximation du coût du soutien aux énergies renouvelables, alors qu’en Allemagne il conviendrait d’y ajouter la contribution spéciale pour l’éolien offshore (+4,16€/MWh) et qu’en France le soutien aux énergies renouvelables ne représente qu’environ 60% des charges de service public considérées dans la CSPE.

Cette stabilité relative constatée ces dernières années traduit-elle vraiment une inflexion du coût du soutien aux énergies renouvelables ?

En France la réponse est clairement non : et la PPE prévoit même une augmentation de ces coûts de plus de 30% pour culminer au-delà de 8Mrds€ en 2025. Autrefois « Contribution », la CSPE est devenue une « taxe » : la TICFE, fixée par les lois de finances (la taxe carbone devait compléter l’équilibre budgétaire, mais son évolution a été mise à l’arrêt depuis la crise des gilets jaunes).

Il est intéressant de noter que la Commission de Régulation de l’Energie, qui était chargée de déterminer le montant de cette CSPE – Contribution du Service Publique de l’Electricité – en fonctions des charges à couvrir, continue à se livrer à l’exercice du calcul de la CSPE… mais cet acronyme a désormais une nouvelle signification : CSPE = CHARGE de Service Publique de l’Energie !

Revenons au cas Allemand. L’idée de la nouvelle loi sur les énergies renouvelables (EEG, qui a été approuvée par le cabinet mais pas encore en votée) est similaire à l’idée française mise en place par la France en 2016 : la contribution est transformée en une taxe qui n’est plus affectée à une dépense dédiée (la France avait mis en place dans un premier temps un « Compte d’Affectation Spécial ») l’équilibre budgétaire devant être assuré par les futures recettes de la nouvelle taxe CO2 qui est instaurée dans cette même loi.

Ainsi c’est sans attendre que cette loi soit en vigueur que la Bundesnetzagentur, conjointement avec le ministère de l’économie, a fixé le montant au niveau prévu par la loi – 65€/MWh – en laissant le budget fédéral subventionner cette contribution (elle n’est pas encore transformée en taxe) à hauteur de près de 11 Mrds €.

Sans cette aide, le montant de la surcharge et donc celui des prix de l’électricité aurait atteint 96,51 c€/MWh pour 2021, marquant ainsi une nouvelle nette inflexion à la hausse de l’EEG Umlage.

Dans sa communication, le Ministère de l’Industrie impute clairement la responsabilité de ce dérapage à la crise sanitaire que nous traversons :

Cette évolution du coût de financement des énergies renouvelables est donc mise sous le compte de la crise du coronavirus qui a pesé sur la demande et sur les prix de gros (la production renouvelable n’ayant pas été affectée par la crise), et l’argent nécessaire proviendra du « Corona-Konjunkturpaket » et ses 130 Mrds € qui, comme les 100 Mrds € du plan « France Relance », sont largement financés par la dette d’État.

Quelles évolutions pour le futur ?

La France prévoit, dans sa Programmation Pluriannuelle (PPE), que la compétitivité des énergies renouvelables entrainera une baisse très importante des besoins de soutien à ces énergies : moins de 4 Mrds€ en 2035. L’Allemagne est quant à elle confiante que la nouvelle loi EEG ouvre le chemin vers une ère post mécanisme de soutien, un « changement de paradigme ».

En fait, ce qui s’est passé cette année avec la crise du Covid 19, c’est une baisse de la demande et donc une baisse de la marginalité carbonée du mix électrique (la production éolienne, photovoltaïque et hydraulique ne connait pas de crise sanitaire). Avec les ambitions Française (PPE), Allemande (EEG 2020) et Européenne (Green Deal, révision des ambitions de la Directive sur les énergies renouvelables), ce que nous avons vécu n’est en fait qu’une anticipation de ce qui est prévu par ces politiques : baisse de la marginalité carbonée dans la formation des prix sur le marché.

Il nous semble que l’incapacité du marché « Energy Only » à rémunérer les coûts complets de la génération électrique soit une nouvelle fois largement sous-estimée. Par contre, ce que ne sous-estiment pas les politiques, même en Allemagne, c’est la difficulté d’afficher en toute transparence la charge des énergies renouvelables sur les factures d’électricité !

Philippe Boulanger

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Irsching Irrsinn (La folie Irsching -Irsching madness)

Irsching Irrsinn (La folie Irsching -Irsching madness)

Le jeudi 28 mai, UNIPER a annoncé remettre sur le marché à compter du 1er octobre 2020 les centrales Irsching 4 & 5 situées en Bavière. S’agissant des deux centrales à gaz les plus modernes (construites en 2010 et 2011) et les plus efficaces d’Allemagne avec des rendements de 60,4% pour Irsching 4 (561 MW) et de 59,7% (846 MW) pour Irsching 5, la question que pose cette annonce est bien : pourquoi donc ces centrales étaient-elles arrêtées ?

En fait cette anomalie, ce scandale puisque ces centrales sont dans un pays dont les émissions de CO2 du secteur électrique en 2019 dépassent 250 millions de tonnes, est aussi vieux que ces machines qui n’ont fonctionné qu’épisodiquement et sous divers mécanismes (réserve système le plus souvent) depuis leur mise en service il y a une dizaine d’années. Le dernier précédent, une annonce datant de septembre 2019, redemandait leur mise sous cocon à partir d’octobre 2020. Cette situation s’expliquait par des considérations économiques complexes liées au fonctionnement du marché (Clean Spark spread, clean dark spread, ETS, etc…) mais, au regard des ambitions et du budget annoncé dans le cadre du Green Deal européen, ces raisonnements sont-ils bien recevables et encore d’actualité ?

Examinons de plus près l’année 2019. Selon les données publiques du régulateur allemand (smard.de) les productions de Irsching 4 & 5 sont quasiment nulles (respectivement 7h et 33h équivalentes de fonctionnement :

Il est bien connu que le « switch » des centrales charbon vers les centrales au gaz est, avec le développement des énergies renouvelables, le levier le plus puissant pour la réduction des gaz à effet de serre. Les Etats Unis en sont la meilleure illustration.

Ainsi les centrales d’Irshing, rêvons, auraient été pourtant en mesure, pour l’année 2019, d’effacer de la production au charbon en Allemagne avec l’impact suivant :

Ces centrales auraient fonctionné environ 3260h (durée moyenne d’utilisation des centrales charbon allemandes en 2018) et auraient économisé près de 3 millions de tonnes de CO2. Certes ces 3Mt sont modestes au regard des 250Mt du secteur électrique allemand (~1%) mais représentent en fait, au regard des émissions du secteur électrique français, plus de 15%.

Tant qu’à faire, en étant plus ambitieux, ces centrales auraient tout aussi bien pu effacer de la production au lignite dont la durée moyenne d’utilisation est proche du double de celle du charbon (6490h en moyenne en 2018) et ainsi l’impact environnemental aurait été doublé (6Mt CO2) jusqu’à représenter plus de 10% de l’effort de réduction qui reste à faire en Allemagne pour atteindre son objectif 2020.

Mais bien sûr, dans un système économique où ni l’environnement ni les ressources ne sont pris en compte, ces modes de production auraient entrainé des surcoûts et, puisqu’il s’agit de matières premières importées auraient aussi eu des impacts sur la balance du commerce extérieur allemand.

Dans le cas d’un fonctionnement en substitution du charbon (3260h), le surcoût (sur la base de la moyenne des prix futurs 2019 en 2018) aurait été de l’ordre de 52M€ – à mettre en regard d’un excédent commercial de 255 Mrds $ (0,02%). Dans le cas d’une substitution au lignite, le surcoût doublerait mais c’est l’intégralité du coût du gaz qui impacterait la balance du commerce extérieur, soit 350M€ sur les 250 Mrds (1,4%). Cet impact est-il raisonnable ? Est-il supportable ? Au regard de la situation au Royaume Uni (balance commerciale déficitaire de 223 Mrds $) ou de la France (déficit commercial de 81 Mrds $), il nous semble que oui.

Ramenons ces calculs au coût de la tonne de CO2 évitée, puisque cet élément est censé être pris en compte dans le Système d’échange de quotas d’émission de l’UE (SEQE-EU ou Emission Trading System ETS en anglais) qui semble donc bien, encore une fois, avoir montré son inefficacité en l’occurrence.

Toujours sur la base des coûts moyens des prix de gaz et du charbon pour l’année de livraison 2019 constatés en 2018, ce surcoût moyen est de l’ordre de 17-18€ par tonne de CO2 (alors que, justement, la moyenne des prix des EUA en 2018 est de 15€ !).

Malgré la compétitivité de cette voie de réduction des émissions, une nouvelle tranche de 300 MW sera construite sur le même site (Irsching 6) pour 2022… et uniquement dédiée au gestionnaire de réseau (TenneT) afin d’assurer la stabilité du système (donc sans empêcher les centrales à charbon d’émettre le million de tonnes de CO2 que Irsching 6 aurait pu être en mesure d’éviter annuellement)

Enfin, la crise du coronavirus remet tout dans l’ordre : le prix du gaz naturel s’effondre (celui du charbon aussi d’ailleurs), le prix des EUA se maintient curieusement bien proche de ses plus hauts niveaux, Irsching va reprendre du service et même, contre toute attente (cf. notre article de juillet 2018[1]), l’Allemagne est en passe de réussir son ambitieux objectif de réduction de gaz à effet de serre pour 2020 (réduction de 40% par rapport à 1990)…

… Là aussi, à la fin, c’est l’Allemagne qui gagne !

Philippe Boulanger

[1] http://eh2solutions.com/fr/2018/07

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NoRéNE aux temps du Coronavirus

S’il est courant de considérer que le débat sur le dispositif post Arenh est aussi vieux que l’Arenh lui-même, il faut reconnaitre que la question a pris une nouvelle dimension depuis que le fameux plafond de verre des 100TWh a été percé (depuis l’année de livraison 2019) et que la crise de « gilets jaunes » a poussé la dernière Loi Energie Climat du 8 novembre dernier à donner la possibilité de relever ce plafond à 150TWh et à réaffirmer dans le code de l’énergie que ce plafond est déterminé « dans l’objectif de contribuer à la stabilité des prix pour le consommateur final ». Le gouvernement qui, par « crainte de Bruxelles » et dans une certaine illégalité, n’avait pas augmenté ce plafond, a donc lancé les travaux sur la Nouvelle Régulation du Nucléaire Existant (NoRéNE) par une consultation mise en ligne le 17 janvier.

Alors que les débats semblaient s’engager plutôt sereinement, la crise sanitaire du coronavirus est en train de changer la donne.

Revenons succinctement aux orientations présentées dans le document de consultation :

Ces orientations devaient répondre à une feuille de route permettant « de garantir la protection des consommateurs contre les hausses de prix de marché au-delà de 2025 en les faisant bénéficier de l’avantage compétitif lié à l’investissement consenti dans le parc nucléaire historique, tout en donnant la capacité financière à EDF d’assurer la pérennité économique de l’outil de production pour répondre aux besoins de la PPE dans des scénarios de prix bas. »

Sur le plan économique et son impact sur les consommateurs, ces orientations auraient pu se résumer par le slogan : « l’Arenh pour tous, mais obligatoire »

Sur le plan des modalités, nous retrouvions un panachage de dispositifs qui nous permettraient de revisiter (avec nostalgie ?) certains des grands mécanismes qui ont émaillés les 20 premières années de l’ouverture des marchés de l’énergie (ces 20 dernières années, donc) :

  • La mise sur le marché de l’énergie nucléaire pourra se faire à l’aide d’enchères qui pourraient rappeler celles organisées entre 2001 et 2003,
  • La compensation financière pour les fournisseurs rappellera à certain l’exercice du TaRTAM (2006)
  • Le niveau de la compensation s’inspire assez directement des mécanismes de complément de rémunération mis en place en 2015,
  • Une idée nouvelle de corridor de prix est introduite. Si cette idée semble avoir certaines faveurs à Bruxelles (et en Allemagne : il en est question pour leur future taxe carbone), elle est loin de faire l’unanimité (surtout avec l’amplitude de 6€/MWh tel que présenté) auprès des acteurs dont certains, tel l’UFE, s’interrogent « sur la pertinence de mettre en place un corridor de prix par rapport à un niveau fixe, notamment au regard de l’objectif visé de stabilité des prix »,
  • La détermination des volumes pourrait se faire, ex-post, sur la base des règles actuelles de l’Arenh (puissance moyenne en heures creuses été avec un coefficient de calage)

La seule grande question qui semblait encore être en suspens était celle du prix ou des prix si nous parlons du plancher et du plafond (rappelons que le décret fixant la méthodologie n’a jamais pu voir le jour), et déjà des critiques s’étaient élevées préventivement sur la question de la prise en compte ou non des coûts de Flamanville 3.

Mais aujourd’hui, avec la crise du coronavirus, c’est bien la question volume-capacité qui se trouve désormais au cœur du débat alors que les trajectoires de consommations (plates) et de production par filières semblaient bien balisées (bien qu’un certain nombre d’acteurs soulignaient que la question prix devait traiter aussi la valeur capacitaire sur le marché des garanties de capacité).

Très rapidement, face à la chute brutale des consommations, les fournisseurs alternatifs ont demandé l’application de la clause de force majeure et ont saisi le Conseil d’Etat sur le refus de la CRE de transmettre à RTE l’évolution des volumes d’ARENH livrés par la société EDF aux fournisseurs ayant décidé d’activer cette clause de force majeure. Suite à la délibération de la CRE du 26 mars et une décision du Conseil d’Etat du 18 avril, ce sera certainement au Tribunal de Commerce de se prononcer sur le fond.

De son côté, le 16 avril dernier, par communiqué de presse, EDF a révisé son estimation annuelle de production d’électricité nucléaire pour prendre en compte la crise sanitaire. Cette annonce était plus ou moins prévisible et attendue. Toutefois, si les acteurs envisageaient une chute de la production en 2020 (maintenant réestimée à 300TWh), le nouvel objectif d’EDF est plus faible qu’anticipé et les prévisions pour les années 2021 et 2022 (estimation entre 330 et 360 TWh) le sont tout autant.

Bien sûr, ces effets volume-capacité retrouvent leur traduction dans les prix de marché : chute du Brent de 60 à 20€/bbl, prix de gaz spot à 5€/MWh, prix des EUA (« CO2 ») passant de 25€ à 16€ pour revenir à 21€ et prix de l’électricité baseload 2021 connaissant des variations de plus de 5€ en moins d’un mois (les remontés brutales faisant d’ailleurs suite au communiqué du 16 avril d’EDF).

Si EDF, par un autre communiqué de presse du 21 avril, s’est félicité de la décision du Conseil d’Etat, l’opérateur français des centrales nucléaires en profite aussi pour réaffirmer la nécessité d’une réforme de la régulation permettant de rémunérer justement la production d’électricité nucléaire existante et, en contribuant à la protection du climat, de concourir à la transition énergétique.

Le chantier s’ouvrait, et il ne devrait pas se résumer à la seule introduction de nouveaux acronymes comme NoRéNE et le SIEG (service d’Intérêt Economique Général).

Philippe Boulanger

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Plus vert que vert !

Moins blanc que blanc on se doute, ce doit être gris clair. Vert, on sait ce que c’est comme couleur…C’est vert ! Mais plus vert que vert, c’est nouveau comme couleur, ça vient de sortir !

Il ne s’agit pas de reprendre le sketch mythique de Coluche sur la publicité, mais je ne peux m’empêcher d’évoquer mon humoriste préféré à la lecture de l’annonce le 18 octobre dernier que « Sept producteurs indépendants lancent l’Électricité Verte d’Origine Contrôlée » en présence d’Elisabeth Borne, Ministre de la Transition écologique et solidaire, et de Brune Poirson, Secrétaire d’Etat auprès de la Ministre de la Transition écologique et solidaire.

Il est vrai que les offres d’électricité verte sont courantes en France depuis l’ouverture des marchés et qu’au milieu de toutes ces offres vertes « sans surcoût », tout aussi régulièrement, surgissent la suspicion et des accusations de ne contribuer en rien à la transition énergétique, quand ce n’est pas purement et simplement de faire du « greenwashing ».

Essayons de faire le point sur la couleur de l’électricité.

L’électricité, comme le gaz naturel, peuvent être produits à partir de sources renouvelables et ainsi avoir une origine « verte ». Mais dès que ces énergies de source renouvelable sont injectées sur les différents réseaux, il n’est plus possible de les distinguer de celles provenant d’un mode de production dit classique.

Ainsi, c’est par la réglementation que s’est définie la traçabilité de l’électricité renouvelable, au travers de la mise en place du système des Garanties d’Origine (GO):

  • Au niveau européen, par des Directives Européennes
    • 2009/28/EC (article 15)
    • ainsi que sa « refonte » à compter du 01/01/2021, 2018/2001 (article 19)
  • Au niveau français, par le Code de l’énergie
    • Partie législative : articles L314-14 à L314-17
    • Partie réglementaire : articles R314-53 à R314-67

Le régulateur français, la Commission de Régulation de l’Energie (CRE) donne en conséquence la définition suivante :

 « L’électricité « verte » désigne l’électricité produite à partir de sources d’énergies renouvelables (énergie hydraulique, éolienne, solaire, géothermique, etc.) ou par cogénération. Les offres vertes proposent une électricité d’origine renouvelable, certifiée par des garanties d’origine. »

Le Réseau de Transport de l’électricité (RTE), quant à lui, donne les précisions suivantes sur le mécanisme des garanties d’origine :

 « Le système de garanties d’origine permet de labelliser la production d’électricité afin de montrer au client final qu’une part ou une quantité déterminée d’électricité est d’origine renouvelable ou produite par cogénération.

Afin de transposer les nouvelles exigences de la directive 2009/28/CE relative aux énergies renouvelables, le décret n° 2012-62 du 20 janvier 2012 est venu modifier le décret n° 2006-1118 du 5 septembre 2006 fixant le régime des garanties d’origine.

Conformément à ce décret, Powernext a été nommé, après procédure d’appel d’offre, pour assurer la mission d’émission et de suivi des garanties d’origine à compter du 1er mai 2013.

Pour toute information relative aux garanties d’origine, RTE vous invite à consulter la page « garanties d’origine » de Powernext. »

Ainsi un fournisseur garantit une fourniture 100% « verte » à son client en utilisant/annulant un nombre de garanties d’origine égal à la consommation en MWh de ce même client.

Limpide ? « Circulez, il n’y a plus rien à voir ! » comme dirait encore le regretté Coluche.

Apparemment il y aurait des problèmes qu’un label d’appellation contrôlé (par qui d’ailleurs ? à ce jour, l’Institut National de l’Origine et de Qualité, Etablissement public national à caractère administratif, qui gère entre autres les AOC et AOP, ne semble pas être chargé du contrôle de ce nouveau label) corrigerait via deux engagements :

  1. Investir exclusivement dans des moyens de production d’énergies renouvelables ;
  2. Accélérer la construction et le développement de nouvelles centrales de production d’électricité renouvelable en France.

Oublions le premier engagement, qui traduit un certain corporatisme cherchant un peu lourdement à éliminer toute entreprise qui se permettrait de faire autre chose que d’investir dans des moyens de production d’énergies renouvelables (cet engagement n’exclurait donc pas seulement EDF ou Engie).

Regardons de plus près le second engagement qui implique 2 éléments :

  • L’énergie renouvelable est produite en France (ainsi ce certificat est peut-être à déconseiller aux consommateurs qui considèrent les éoliennes incompatibles avec les paysages français mais sont favorables, par ailleurs, aux énergies renouvelables… ailleurs).
  • L’utilisation de ces garanties contribuerait financièrement à la construction et au développement de nouvelles centrales. Sur ce point « il est important » comme le rappelle la Directive Européenne, « de faire la distinction entre les certificats verts utilisés pour les régimes d’aide et les garanties d’origine » et de rappeler qu’en France le développement des énergies renouvelables est essentiellement
    • défini par la Programmation Pluriannuelle de l’Energie (PPE),
    • mis en place par les appels d’offres organisés par la CRE,
    • et financé par Compte d’Affectation Spécial (CAS) « transition énergétique », compte principalement alimenté par la CSPE payée par le consommateur français, à hauteur de 22,5€/MWh (hors TVA), quelle que soit son offre de fourniture électrique.

Pour la première fois, les garanties d’origine des installations française bénéficiant d’un mécanisme de soutien ont été mises aux enchères par Powernext le 18 septembre 2019 et plus de 4,4 TWh de GO ont été vendues au prix moyen de 0,42€/MWh. C’est donc un peu moins de 2M€ (soit ~12M€ si nous extrapolons aux 6 enchères) qui contribueront au CAS. Ce montant est à rapporter à 6Mrds€ qui est le niveau actuel du coût des soutiens aux renouvelables…

Nous comprenons mieux pourquoi ces garanties peuvent être offertes sans surcoût aux consommateurs par le fournisseur qui en fait la promotion !

Le prix des enchères actuelles ne préjuge naturellement en rien des prix sur les prochaines enchères, ni de l’émergence d’un nouveau paradigme qui contribuerait à rendre caducs les soutiens aux énergies renouvelables. En attendant, une telle initiative ne manquera pas d’apporter sa contribution au daltonisme actuel lié à l’électricité et nous rappelle que, mieux qu’une « AOC[1] », la dimension européenne du système des Garanties d’Origine en vigueur leur confère une véritable « AOP[2] ».

[1] AOC : Appellation d’origine contrôlée ː elle protège la dénomination sur le territoire français

[2] AOP : Appellation d’origine protégée : signe européen qui protège le nom du produit dans toute l’Union européenne

Philippe Boulanger

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PPA pour tous !

Depuis quelques temps déjà, le monde de l’énergie voit s’imposer un acronyme valise : le « PPA ». Ces trois lettres, auxquelles s’ajoutent souvent des attributs comme « Corporate », « Renouvelable » ou encore « Long Terme », cherchent à représenter l’avenir du développement compétitif des énergies décarbonées dans le monde.

Pourtant, quand nous comprenons ces trois lettres : « Power Purchase Agreement », il nous semble que cette forme de contrat désigne la large famille des contrats où au moins une des parties achète de l’électricité. Nous sommes donc un peu perplexes quand nous lisons dans la presse spécialisée qu’en France il y aurait des problèmes pour développer des PPA (le nucléaire serait même souvent pointé comme responsable).

Apparemment quand Jean-Louis Bal, le président du syndicat des énergies renouvelables dit « En France, nous avons un réel problème de compétitivité des PPA. » alors que beaucoup de consommateurs en France peuvent acheter de l’électricité à des prix parmi les plus bas en Europe, PPA dans ce contexte ne signifie donc pas seulement accords d’achat d’électricité mais une forme contractuelle plus particulière.

Face à ce malentendu, il semble bien qu’un travail de définition soit nécessaire.

Nous avons trouvé une définition intéressante dans la Directive (UE) 2018/2001 du Parlement Européen et du Conseil du 11 décembre 2018 relative à la promotion de l’utilisation de l’énergie produite à partir de sources renouvelables (Article 2) :

Accord d’achat d’électricité renouvelable[1]: un contrat par lequel une personne physique ou morale accepte d’acheter directement à un producteur d’électricité de l’électricité produite à partir de sources renouvelables ;

Cette définition élimine donc non seulement tout contrat avec un client final d’électricité (seul un fournisseur détenteur de l’autorisation ministérielle ad-hoc peut vendre de l’électricité à un client final) mais aussi le fameux contrat « Exceltium » – contrat pourtant remarquable qui représente un volume de 148 TWh sur une durée de 24 ans – mais il s’agit d’électricité nucléaire….

En revanche, l’ensemble des contrats d’installations sous obligation d’achat avec EDF ou encore les contrats des installations avec compléments de rémunérations rentrent bien dans cette définition, tout comme une infinité de types de contrats de fourniture.

Une autre définition, pertinente et plus ciblée, nous est donnée par Voltalia dans son communiqué de presse du 26 juin 2019 annonçant la « signature du premier contrat d’achat direct d’électricité de près de 150MW et de très longue durée en France » :

Power Purchase Agreement : contrat d’achat direct d’électricité par lequel une entreprise s’approvisionne directement auprès d’une centrale solaire ou éolienne construite à cet effet et rendue possible par ce contrat long-terme.

Ici, la restriction de cette définition aux seules centrales solaires ou éoliennes exclut, peut-être arbitrairement, la biomasse, le biogaz ou encore l’hydraulique (et bien sûr, le nucléaire).

En fait ces définitions ne traduisent pas complètement l’esprit sous-entendu du dispositif, à savoir :

  • La compétitivité par rapport aux prix de marché
  • L’absence de soutien public ou de subvention (Aide d’Etat)

La compétitivité : elle ne peut se mesurer vraiment objectivement que sur l’horizon liquide des marchés, c’est-à-dire 3 ans, et encore une telle visibilité n’est pas encore vraiment disponible pour la composante capacité (certes faible en ce qui concerne le solaire). La vision long terme, quant à elle, dépendra beaucoup de la capacité du développement du solaire à effacer la marginalité encore persistante des outils de génération fossile pendant les heures ensoleillées. Même en tenant compte du fait que la valorisation de la vente de l’énergie solaire sur les marchés se traduit actuellement par un premium par rapport aux prix moyens (de l’ordre de 2€/MWh), les prix des derniers appels d’offres organisés par la Commission de Régulation de l’Energie (CRE) montrent encore un écart de compétitivité par rapport aux prix de marché : le prix moyen des lauréats en août dernier pour les grandes installations solaires au sol était de 59,5€/MWh. Il se trouve peut-être quelques lauréats qui dans l’ensemble finiront par apporter leur contribution au Compte d’Affectation Spécial (CAS) « transition énergétique », et non par percevoir un complément de rémunération. En tant que redevable de la CSPE, nous leur sommes reconnaissants… tout en notant que le projet de Programmation Pluriannuelle de l’énergie (PPE) prévoit bien une augmentation globale des coûts de soutien aux énergies renouvelables sur sa période (horizon 2028).

Aide d’Etat : si le mécanisme des « PPA » résultants des appels d’offres CRE est bien considéré comme une aide d’état, cette aide est encadrée par les règles et lignes directrices européennes (autorisation de la Commission SA.46552 du 29/9/2017) qui imposent des contraintes pouvant peser sur leur compétitivité (traitement des prix négatifs, responsabilité des écarts, durées contractuelles). Ces contraintes n’existent pas forcément sous la même forme dans des « PPA » privés.

Quoi qu’il en soit, la PPE prévoit essentiellement (si ce n’est exclusivement) le développement des énergies renouvelables au travers d’appels d’offres CRE et il ne parait pas envisagé qu’un autre organe de l’État doive se charger de compléter ce déploiement par des procédures parallèles. Dans ce contexte, l’émergence d’initiatives privées, qui reviendraient à faire reposer des décisions d’investissement uniquement sur des mécanismes de marché (« le monde d’hier » tel que le qualifiait encore récemment Jean-Bernard Levy, président d’EDF) pourrait représenter un « Back to the Future » autant sympathique qu’inattendu.

[1] « Renewable Power Purchase Agreement » dans la version de la directive en langue anglaise.

Philippe Boulanger

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L’Arenh et les TRV s’invitent dans la «Petite» loi Energie Climat

Au début, il ne devait s’agir que d’une « petite loi » dont l’objet était de corriger un point de détail, presque une faute de frappe ou d’inattention de la part du législateur.

Devant le calendrier qui a été rattrapé par le réalisme (à moins que ce ne soit l’inverse), François de Rugy, Ministre de la Transition écologique et solidaire, confirmait devant les sénateurs en octobre dernier que la loi de 2015 sur la transition énergétique et de la croissance verte serait « légèrement modifiée, et ce afin d’acter le report de l’objectif de fixer la part du nucléaire à 50%.

Mais légiférer sur l’énergie en général et sur le nucléaire en particulier revient souvent à ouvrir une boite de Pandore. Entre crise des Gilets Jaune d’un côté et situation financière d’EDF de l’autre, la question des Tarifs Régulés de Vente d’électricité (TRV) et donc de l’Accès Régulé à l’Electricité Nucléaire Historique (Arenh) n’a pas tardé à s’inviter dans le débat.

De fait, c’est le gouvernement qui a pris les devants afin de désamorcer l’impact de la hausse des TRV de 5,9% au 1er juin :

Le jour même de la présentation du projet de loi au conseil des ministres, le 30 avril, François de Rugy a précisé, sur l’antenne de BFMTV, qu’un nouveau mode de calcul des tarifs réglementés de l’électricité serait instauré en 2020. « Je ne me résigne pas à ce mode de calcul qui a été voté deux fois par le Parlement sous une majorité de droite en 2010 et sous une majorité de gauche en 2015 », a déclaré le ministre de la Transition écologique et solidaire, « le mode de calcul actuel ne reflète pas les coûts de production de l’énergie nucléaire. Dans la future loi Énergie et Climat, je proposerai de changer ce mode de calcul. Dès 2020, il s’appliquera en collant mieux aux coûts de production », a insisté François de Rugy.

De son côté Jean-Bernard Levy, la veille de l’application de cette hausse, appelait à « réfléchir à moins taxer l’électricité puisqu’elle n’émet pas de dioxyde de carbone ». « Je rappelle que quand on paye une facture d’électricité, on paye plus du tiers de taxes. C’est comme si on avait une TVA à 55 % », précisait le PDG d’EDF, tout en reconnaissant que « dans les autres pays, il y a beaucoup de taxes sur l’électricité un peu partout ».

Et cette intervention a donné l’occasion au ministre d’appuyer sur les points douloureux : « Ce n’est pas en rejetant la responsabilité sur les taxes qu’on améliorera la situation d’EDF », a répliqué François de Rugy en rajoutant :

  • « EDF s’endette parce qu’elle n’arrive pas à couvrir ses coûts de production avec ses recettes »,
  • « Tous les ans, la Cour des comptes dénonce le fait qu’à EDF, les salariés ne paient que 10% du prix de l’électricité ».

Même le Conseil Constitutionnel a apporté sa contribution : alors que la fin du tarif réglementé de vente du gaz était actée, le Conseil constitutionnel a censuré les articles de la loi Pacte relatifs à cette suppression. Cette mesure, qualifié de « cavalier législatif », aura donc naturellement sa place, via amendement dans la loi énergie climat.

En fin de compte, le gouvernement a déposé le 14 juin son amendement Arenh (amendement n° CE357).

Cet amendement propose de fixer le plafond du plafond de l’Arenh à 150 TWh à partir de 2020 (le plafond à proprement parlé est fixé par arrêté dans la limite du plafond du plafond fixé par la loi).

Mais cet amendement prévoit aussi d’ouvrir au Gouvernement la possibilité de modifier le prix de l’Arenh par arrêté afin de prendre en compte une évolution du plafond au regard de l’impact financier sur EDF, en étendant dans le temps la dérogation prévue à la mise en place du dispositif par l’article L337-16. Bien entendu « l’évolution de ces paramètres et son calendrier feront l’objet de discussions entre le Gouvernement et la Commission Européenne »…

Le projet de loi présenté au conseil des ministre le 30 avril dernier ne se limitera donc pas à :

Au 5° du I de l’article L. 100-4 du code de l’énergie, les mots : « réduire la part du nucléaire dans la production d’électricité à 50 % à l’horizon 2025 » sont remplacés par les mots : « réduire la part du nucléaire dans la production d’électricité à 50 % à l’horizon 2035 ».

Et la prochaine loi est déjà en préparation : dans l’exposé de son amendement, le gouvernement évoque  la préparation d’une nouvelle régulation qui succédera à l’Arenh, voire pourra la remplacer avant son échéance fixée à 2025, dans le but « de garantir la protection des consommateurs contre les hausses de prix de marché au-delà de 2025 en les faisant bénéficier de l’avantage compétitif lié à l’investissement consenti dans le parc nucléaire historique, tout en donnant la capacité financière à EDF d’assurer la pérennité économique de son parc de production, même dans des scénarios de prix bas ».

A suivre…

Philippe Boulanger

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Brexit et marché de l’énergie

Chaque jour, les analystes des marchés de l’énergie commentent, systématiquement et apparemment sans règles particulières, les mouvements et les perspectives des marchés (haussiers, baissiers ou stables) en relation avec les anticipations des modalités du BREXIT (mou, dur, semi-mou etc…). Ainsi, par exemple, tout développement négatif sur la perspective d’arriver à une sortie avec accord expliquera l’évolution haussière (respectivement baissière ou stable) du jour. Il en sera de même pour tout manque d’information ou de perspective nouvelle à ce sujet : l’incertitude autour du Brexit justifiera la tendance bearish (respectivement bullish ou stable) du jour !

Alors que nous écrivons ces lignes, la date fatidique du 29 mars est passée sans que le (mauvais) feuilleton ne soit arrivé à sa conclusion et tout porte à croire que de nombreuses « saisons » sont déjà en préparation. Faut-il pour autant différer davantage l’analyse de l’impact du Brexit sur les marchés de l’énergie ? Nous nous permettons sans plus attendre de partager avec vous quelques réflexions :

Tout d’abord regardons ce qui ne change pas ou peu :

  • Les tarifs douaniers :

En quittant l’Union Européenne, le Royaume-Uni quittera aussi son marché unique. Ce basculement ne devrait avoir que peu de conséquences pour l’énergie car l’électricité, le pétrole et le gaz naturel ne sont pas taxés dans le cadre des accords de l’OMC. L’essentiel est préservé !

  • Les interconnections :

RTE et la CRE ont pris les devants : à compter du 30 mars, toutes les allocations de capacités sont explicites. Ce changement en pratique ne concernera que les allocations journalières (les autres allocations se faisant déjà d’une façon explicite). Un changement qui ne devrait donc générer qu’une légère (imperceptible) désoptimisation et qui permettra de rémunérer une activité de trading additionnelle.

L’ETS (système Européen d’échange de quotas d’émissions de carbone), quant à lui, requiert comme toujours une attention particulière :

  • Curieusement, le projet d’accord de sortie prévoyait le maintien de la Grande Bretagne dans l’ETS. Ce ne serait donc plus le cas en absence d’accord. Cette incertitude est donc génératrice d’une forte volatilité car le système permet le « banking » (mise en réserve des allocations) et le « borrowing » (utilisation des allocations futures) ; Cette dernière option ayant été interdite aux émetteurs britanniques avec le gel des allocation 2019. La date des restitutions des quotas pour les émissions 2018 est le 30 avril 2019. En cas de sortie de l’ETS, l’effet banking aura un effet baissier, alors que l’impossibilité du borrowing aura un effet haussier (et inversement dans le cas du maintien de la Grande Bretagne dans l’ETS. Ou peut-être pas !)
  • Apparemment, alors que la date du 30 avril se trouve à priori au-delà de la date fatidique, les acteurs de marché ne semblent pas envisager le scénario radical où les industriels décideraient de ne pas restituer les quotas de 2018. Ce serait certes en contravention aux accords existants mais… (le cadre existant permettait le borrowing aussi).

Considérons maintenant les effets pour les politiques de l’Union Européenne :

Finalement c’est à ce niveau que les conséquences risquent d’être plus importantes. Après sa sortie de l’Union européenne, le Royaume-Uni ne pèsera plus dans les négociations pour la construction du marché intérieur de l’énergie, et l’Europe y perdra certainement une approche concrète et réaliste (non idéologique) de la libéralisation des marchés comme l’illustre ce bref rappel historique :

  • Si la Grande Bretagne avait été pionnière du mécanisme du Pool obligatoire (début des années 1990), elle n’a pas hésité à l’abolir en 2001 pour l’avoir jugé trop manipulable.
  • Jugeant que l’ETS ne permettait pas de favoriser la génération électrique par gaz naturel moins polluant (et souvent domestique) que par le charbon (toujours importé), un prix plancher du CO2 est instauré en 2013.
  • Généralisation des contrats pour différence pour la génération électrique bas carbone.
  • Engagement dans le nucléaire : Hinkley Point négocié en 2014-2015 avec contrat pour différence.
  • Politique pragmatique (et controversée) en faveur du gaz de schiste.
  • Lancement du marché de capacité en 2014.

Justement, la question du marché de capacité permettra à l’Union Européenne de se rappeler au bon souvenir des britanniques : alors que la mise en place de ce marché au Royaume Uni n’avait fait l’objet d’aucune objection de la part de la Commission Européenne le 23 juillet 2014, le tribunal de l’Union Européenne, par un arrêt le 15 novembre 2018 (et un sens aigu du timing), annule la décision de la Commission de ne pas s’opposer au régime d’aides instaurant un marché de capacité au Royaume.

Affaire à suivre (la Commission a ouvert une enquête approfondie sur le régime du marché de capacité britannique le 21 février 2019), mais entre-temps, la Commission Européenne continue de qualifier les mécanismes de capacités de subventions, le marché de capacité britannique est arrêté et, partant, la sécurité d’approvisionnement du Royaume-Uni compromise…

Philippe Boulanger

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The cost of CO2 in French electricity: tax and/or market? Double the punishment

Alors que le débat autour des « gilets jaunes » semblait se focaliser principalement sur la taxation des hydrocarbures, les énergies fossiles émettrices de CO2, la question du prix de l’électricité – qui en France se cristallise légitimement autour de l’évolution des tarifs réglementés car la quasi-totalité des offres aux particuliers y sont indexées – commence à prendre de l’ampleur. Ce n’est certainement pas la perspective d’avoir début 2019 une « petite » loi sur l’énergie qui va calmer les esprits. Comme il est bien connu de tous, l’électricité en France est largement décarbonée (entre 50 et 100kg de CO2 par MWh en moyenne actuellement), le consommateur d’électricité français serait porté à se croire protégé de tout impact de prix du carbone. Devant la rumeur, le doute s’installe et finalement la question se pose : les tarifs d’électricité sont-ils impactés par le coût du CO2 ? la réponse est oui. Un client résidentiel en France paie les émissions CO2 à un prix équivalent à 92,80€/t.

Mais cette fois-ci, la cause n’est pas la taxe CO2 française, la Contribution Climat Energie (CCE) dont la valeur selon la loi de finance est de 44,6€/tCO2 en 2018, prévue 55€/tCO2 en 2019 et 86,2€/tCO2 en 2022, ni la CSPE qui, grâce à la CCE d’ailleurs, ne semble pas décoller de son taux fixé en janvier 2016 (22,5€/MWh), mais la valeur du CO2 du marché européen les « EUA » (European Union Allowances) de l’«ETS » (European trading system).

Ici, nous nous devons de placer un « Disclaimer » car l’ETS est un sujet particulièrement sensible en Europe, dont toute remise en cause reviendrait à ouvrir une véritable boite de Pandore. Même si l’exercice d’explication demande parfois de faire preuve d’esprit critique, l’auteur de ces lignes tient à exprimer son entière adhésion aux objectifs environnementaux Européens en général, et à ceux fixés dans l’Accord de Paris en particulier.

La valeur des EUA a triplé, voire quadruplé, en 2018 pour atteindre actuellement un prix de l’ordre de 25€ (par tCO2 équivalent) et du fait de l’organisation des marchés de l’électricité, une augmentation de 1€ des EUA fait augmenter de près de 1€ le MWh d’électricité… de la Norvège à la France.Ce phénomène est parfaitement reconnu et même quantifié dans le Code de l’Energie[1] en France : 1€ de hausse sur les EUA se traduit en moyenne par 0,76€ de hausse sur le MWh électrique acheté sur le marché français.

Sur cette base le prix marché de l’électricité en France (aujourd’hui de l’ordre de 61€/MWh pour 2019) comprendrait un surcoût estimé de 25×0,76=19€/MWh du fait de l’ETS. Ainsi, ramené à la moyenne des émissions de la production électrique en France (moins de 0,1 tonne de dioxyde de carbone par mégawattheure), le poids de la fiscalité carbone sur l’électricité en France est donc de plus de 19/0,1=190€/tonne de CO2 ! (Plus de 4 fois plus que la CCE qui s’applique sur les carburants fossiles !).

Comment justifier que l’électricité soit l’énergie la plus taxée pour émissions de CO2 en France ?

La France avait mis des limites à cette incongruité en instaurant le mécanisme de l’ARENH à 42€/MWh éliminant ainsi en grande partie l’impact de l’ETS (la différence entre le prix de marché et l’ARENH est bien de l’ordre des 19€/MWh mentionnés précédemment).

Le problème de l’actualité est que, pour la première fois depuis son instauration en 2011, du fait du développement de la concurrence, la Commission de Régulation de l’Energie (CRE) a annoncé le 29/11/2018 que l’ARENH pour 2019 serait rationné. La part des tarifs réglementés de vente de l’électricité (TRV) soumise au marché va augmenter du fait de ce rationnement (de l’ordre de 25%). La CRE dans son communiqué du 29/11/2018 annonçait donc l’augmentation prochaine des mêmes TRV.

Jusqu’à présent, le consommateur particulier n’était exposé au marché pour la part énergie de sa fourniture que pour la partie non couverte par l’Arenh et de plus, du fait principalement d’une faible valeur des EUA ces dernières années, la différence entre le prix de l’Arenh et les prix de marchés était faible (voire certaines années comme en 2016, le prix de marché était même plus compétitif). Il en va tout autrement pour 2019 et le consommateur va subir une double peine : hausse de la part soumise au prix de marché (du fait du rationnement Arenh) et hausse du prix de marché résultant principalement de l’augmentation du prix des EUA.

Concrètement, la part moyenne des droits Arenh dans les tarifs régulés est de 68%[2] ; ainsi, avant écrêtements des droits Arenh, l’exposition au marché portait sur 32% de la fourniture. À la suite du dépassement du plafond Arenh qui induit un écrêtement à 75,23% pour 2019, cette exposition se porte à 48,84%. Ainsi la « taxation CO2 » du fait de l’ETS est réduite à environ 19×48,84% soit 9,28€/MWh. Ramenée à un facteur d’émission CO2 de la production française de 100Kg/MWh, cela correspond à une taxe carbone de 92,80€/t (et du double sur la base d’un facteur d’émission de 50Kg/MWh !)

Nous sommes désolés de la complexité de ces explications, malheureusement les solutions à la crise actuelle de la taxation environnementale (CSPE, CCE, TICGN, EUA…) ne passeront que par la compréhension totale et sans tabou de mécanismes résultants de combinaisons, par nature mal contrôlées, à la fois de politiques fiscales nationales mais aussi de mécanismes européens de type marché.

Philippe Boulanger

[1] Article R122-14 : « le facteur d’émission de l’électricité consommée en France, mentionné au 2 du III du même article, est fixé à 0,76 tonne de dioxyde de carbone par mégawattheure. »

[2] Délibération de la Commission de régulation de l’énergie du 12 juillet 2018 portant proposition des tarifs réglementés de vente d’électricité.